Le Matin Dimanche, 5 octobre 2003
Ian Hamel

"Aujourd'hui, un célibataire ne percevant que 25 000 francs par an peut légalement venir s'établir. Les bilatérales ont provoqué un afflux de salariés indépendants", constate François Micheloud.

Il y a aujourd'hui plus de ressortissants de l'Hexagone en Suisse que dans toute l'Afrique francophone. La Confédération n'attire pas que les riches retraités, les artistes en vogue et les champions sportifs. M. Tout-le-monde lâche aujourd'hui Paris ou Grenoble pour les cantons de Vaud et Genève

Ne demandez pas à Christine Berger si elle a choisi la Suisse pour des raisons fiscales. Elle risque de vous rire au nez. Cette enseignante en préretraite de 59 ans a simplement réalisé le rêve de toute sa vie: s'établir dans ce pays calme et montagneux. «Comme tout fonctionnaire français, je ne roule pas sur l'or. Mais mon installation en Suisse n'a posé aucun problème», raconte cette Française venue de Dijon. Et, bien que ne parlant pas l'allemand, elle s'est établie à Bad Ragaz – comme la tante de Heidi –, dans le canton de Saint-Gall. «Je vis simplement. Je profite de la vie et je fais des balades avec mon chien», raconte Christine Berger. Il y a quelques années, cette installation aurait été impossible. La Suisse n'aimait que les riches étrangers, les stars: hommes d'affaires, acteurs célèbres, joueurs de tennis. Pas de permis de séjour possible sans un compte en banque bien garni.

«Aujourd'hui, un célibataire ne percevant que 25 000 francs par an peut légalement venir s'établir. Les bilatérales ont provoqué un afflux de salariés indépendants», constate François Micheloud. C'est son métier de livrer la Suisse clés en main. Sa société, installée en face du Lausanne-Palace, s'occupe de tout: permis de séjour, maison, et même inscription des enfants dans une école privée. Et les demandes affluent.

L'exception Patricia Kaas
Même si la libre circulation des personnes entre la Suisse et l'Union européenne s'étale sur une décennie, il est maintenant très facile pour un Français ou un Allemand de poser ses valises à Vevey ou à Nyon, et d'y créer sa société. Christine Berger est pratiquement une exception. Il n'y a guère que la chanteuse tricolore Patricia Kaas pour préférer le lac de Zurich au Léman (mais elle est originaire de Forbach, en Lorraine germanophone). Pour des raisons de langue, l'immense majorité des Français choisissent la Suisse romande, comme Charles Aznavour, Jean-Claude Killy, Isabelle Adjani ou Maurice Béjart.

Entre 150 000 et 160 000 Français
Rémi Chadel, 37 ans, consultant en management, a quitté l'Hexagone pour s'établir dans la région lausannoise. Pourquoi ce choix? «Le mot «Suisse» offre toujours une image de marque très forte à l'international», constate ce Français, marié à une Irlandaise, qui a longtemps vécu en Allemagne et aux Etats-Unis. «Je suis impressionné par le dynamisme économique. On trouve en Suisse romande beaucoup de multinationales, ainsi que des PME particulièrement performantes.»

Résultat, la Suisse attire davantage de Français que certains grands pays comme les Etats-Unis, l'Allemagne ou la Grande-Bretagne! Officiellement, il y avait 118 000 tricolores en 2002 dans la Confédération, contre 87 000 en Allemagne et 101 000 dans toute l'Afrique noire. Le nombre d'immatriculés pour les cantons de Genève, de Vaud et de Valais, en nette progression, est de 84 500 au 1er septembre 2003, ce qui fait du consulat de France à Genève le plus important du monde! «Il faut souligner que l'immatriculation n'est pas obligatoire», précise François Laumonier, le consul général. Il n'est donc pas exagéré de penser que 150 000 à 160 000 «Frouzes» vivent aujourd'hui chez leurs cousins helvètes. Pas spécialement pour de quelconques avantages fiscaux. «La communauté française privilégie la sécurité, l'environnement et le respect de la vie privée», ajoute François Laumonier.

 «Pour le sérieux et la qualité»
La Française Laurence Bergen et son mari, Dirk, de nationalité belge, travaillent dans l'emballage métal depuis une décennie. Ils ont quitté la région parisienne pour le canton de Vaud afin de lancer une idée quelque peu révolutionnaire: la commercialisation d'un préservatif dans une coupelle en métal.

«Nous avions d'abord pensé nous installer en Italie. Mais, rapidement, notre choix s'est porté sur la Suisse, car ce pays est considéré comme sérieux. Il inspire confiance et il est synonyme de qualité», explique Laurence Bergen, à la tête de la société BLD. Une société qui devrait, à terme, embaucher 5 à 6 personnes.

En attendant toutes les homologations et les autorisations, toujours longues lorsqu'il s'agit de préservatifs, notamment destinés aux jeunes, le couple s'est lancé dans une autre activité, très différente, la commercialisation de bateaux haut de gamme, jusqu'à 15 mètres de long. La vue sur le lac donne parfois des idées. Revenant du salon de Cannes, Laurence et Dirk Bergen représentent deux constructeurs, l'un norvégien, l'autre italien.

 «Je ne digère pas la fondue»
Après Charles Aznavour, Marie Laforêt et Alain Delon, l'animateur Fabrice a lui aussi choisi la Suisse romande pour couler une retraite que l'on dit bien méritée. Celui qui a longtemps joué le rôle d'un prof chargé d'une «Classe» de joyeux rigolos sur France 3 était, avec son épouse, Michèle, à l'inauguration officielle du Casino de Montreux à la fin du mois de septembre.

Comme beaucoup de Français connus, Fabrice n'a pas choisi la Cité de Calvin, mais le canton de Vaud. En effet, après des années passées dans les embouteillages et la pollution de l'Ile-de-France, les jeunes retraités (Fabrice a 61 ans) préfèrent les petites villes et la campagne vaudoise. L'animateur, qui sait dire «septante, huitante et nonante» après une année passée dans la Confédération, ne digère toujours pas la fondue. En revanche, il ne crache surtout pas sur les vins locaux.

«Le premier conseil que je prodigue aux Français qui veulent s'installer à l'étranger, c'est de choisir un pays où ils apprécieront de vivre», recommande Patrick Michaud, un avocat parisien spécialisé dans les installations clés en main en Suisse.